Sophie KUIJKEN dialogue avec Paul DELVAUX
Paul DELVAUX (Antheit 1897 – Furnes 1994),
"Je voudrais peindre un tableau fabuleux dans lequel je vivrais,
dans lequel je pourrais vivre."
Biographie
Paul Delvaux a fait ses humanités gréco-latines à l’Athénée de Saint-Gilles. Pour répondre à l’attente de ses parents, il entre à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles pour étudier l’architecture, ce qui explique sa prédilection pour les éléments architecturaux qui sont souvent présents dans ses tableaux. Peu doué pour les mathématiques, il s’oriente rapidement vers la peinture. Signe de modernité, les trains et les gares le fascinent et deviendront un thème privilégié de son œuvre. Il les représente noyés dans des nuages de vapeur. En 1934, l’exposition "Minotaure" du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles en 1934 lui révèle le travail de Magritte, de De Chirico et de Dali ce qui va orienter son style vers le surréalisme (Pygmalion, 1939) bien qu’il refusera toujours cette étiquette. Pourtant, l’inconscient ne l’intéresse pas, il recrée un monde fait de souvenirs intimes et personnels.
Nommé professeur de peinture monumentale à La Cambre en 1950, il y enseigne jusqu’en 1962. Dès 1969, il s’installe définitivement sur la côte belge. C’est, en 1982 à Saint-Idesbald, que sera inauguré le Musée Paul Delvaux qui contient aujourd’hui la plus grande collection d’œuvres de l’artiste sur une surface de 1.000m2. Oui, Paul Delvaux aimait les trains, symbole d’évasion et de mouvement mais surtout il peignait la femme, lui rendant un hommage perpétuel. Dans un « théâtre mental », il met en scène des femmes souvent nues aux yeux immenses en amande, au regard lointain semblant inaccessibles mais très sensuelles au milieu d’un décor gréco-romain. Elles semblent exposées comme des statues dans un hiératisme glacial. A partir des années 40, il intègre des squelettes dans son œuvre, en tant qu’« armature de l’être vivant », un rappel de ses études d’architecture mais surtout une marque d’admiration de l’œuvre de James Ensor. Dans les thèmes récurrents de ses tableaux, il ne faut pas oublier les références à l’univers de Jules Verne et plus particulièrement du géologue du Voyage au centre de la terre, livre qu’il avait lu dans sa petite enfance.
Paul DELVAUX, Les courtisanes
Huile sur bois, 89 x 130 cm.
Collection privée en dépôt au Musée D’Ixelles, 1944.
Description de l’œuvre
Dans Les Courtisanes, Delvaux met en scène six femmes dénudées dans des attitudes lascives installées dans un espace rythmé par des colonnes antiques évoquant les thermes gréco-romains. Sorte de caryatides, leur anatomie est assez semblable aux femmes présentées dans d’autres toiles de Delvaux qui reconnait lui-même avoir un modèle de nu. Disposées de manière poétique, elles sont toutes énigmatiques, lointaines, comme désincarnées. Elles semblent fuir le spectateur, d’un regard absent et presque triste, prennent une pose hiératique dans un décor classique.
Sophie KUIJKEN, P.H.S
Huile et acrylique s/panneau de bois aggloméré,
122 x 61 cm, 2017.
Sophie KUIJKEN (Bruges, 1965)
Biographie
Formée à l’Académie royale des Beaux-Arts de Gand, Sophie Kuijken perfectionne sa pratique artistique pendant une vingtaine d’années dans l’intimité de son atelier. Ce n’est qu’en 2011 qu’elle réalise pour la première fois une exposition monographique au Musée Dhondt-Dhaenens (Deurle, Belgique) de ses énigmatiques portraits d’hommes et de femmes. Elle renouvelle un genre pictural très en vogue déjà à l’époque des primitifs flamands dont elle utilise aussi la technique, soit la superposition de plusieurs couches de peinture (chez elle, à l’acrylique et puis à l’huile) parfois dans un intervalle de temps de plusieurs mois produisant ainsi un effet de profondeur dans ces portraits. Néanmoins, là où à la Renaissance, les peintres cherchaient à se rapprocher de la réalité, Sophie Kuijken cherche des individus anonymes dont elle trouve les photos sur Internet, qu’elle transpose numériquement sur un support de bois. Ensuite, elle les mélange pour obtenir un résultat d’un réalisme trompeur puisqu’ils sont en fait désincarnés, ne ressemblant plus à personne. Souvent présentés à mi-corps, en plan rapproché, les personnages apparaissent isolés, mis en exergue, d’autant plus que le fond du tableau est neutre. Par leur regard magnétique, ils interpellent intensément le spectateur.
Pourquoi Sophie Kuijken a choisi de faire dialoguer P.H.S
avec les Courtisanes de Delvaux ?
Sophie Kuijken est attirée par le caractère onirique, irréel et poétique des Courtisanes. Pour elle, les lumières abondantes et les couleurs douces dégagent dans ce tableau une atmosphère presque paradisiaque. Elle en aime le mystère, renforcé par l’aspect théâtral des postures et des expressions des femmes, dont il est difficile de jauger l’état d’esprit. La mise en scène est purement imaginaire. Moi-même dit-elle « en gardant l’arrière-plan de mon personnage dans le noir, je laisse le spectateur encore plus clairement dans l’ignorance de l’environnement et du contexte dans lequel il évolue ». Alors que le titre du tableau de Delvaux ne laisse aucun doute sur la profession de ces dames, en choisissant pour le sien trois lettres majuscules entrecoupées de points à l’instar d’un acronyme, Sophie Kuijken veut en maintenir l’énigme.